Comment j'ai failli devenir riche

Un jour, c'était la nuit d'ailleurs, devant le tas de factures amoncelées sur mon bureau, je me suis dit: "il te faut devenir riche". Devenir riche ? c'est vite dit, le plus difficile, c'est de trouver comment. Au début, j'ai été tenté de céder à la facilité, c'est-à-dire d'acheter un bout de trottoir et d'y faire pousser des parcomètres, il parait que cela rapporte gros, mais au prix du mètre carré de goudron, ça faisait un investissement trop lourd à supporter, et de plus, c'était d'une banalité affligeante. Alors là, soudain, "Euréka", l'idée géniale m'a sauté au visage: si j'achetais un chien, mais pas n'importe quel chien, un chien de rapport. N'ayant peur d'aucun sacrifice et voulant jouer gros du premier coup, j'ai acheté un rapporteur d'or dont le nom scientifique est "Golden Retriever".

Et me voilà un beau jour avec une petite boule de poils dans les bras. Toute la maisonnée était en extase devant elle, pensez donc, elle allait nous amener la Fortune. Il a fallu bien vite déchanter car c'est des présents bien moins nobles que notre jeune rapporteur nous a laissé sur les tapis. Pour que sa vie se déroule sous de bons augures, nous l'avions appelé "Med'Or", on aurait plutôt dû le nommer "Med'Alors", cela aurait été plus approprié.

J'avais lu dans un livre spécialisé que dans certaines régions et dans le Périgord en particulier, on dressait les chiens pour chercher les truffes, et que, quand ils étaient tout petits, on mettait de la truffe pilée dans leur pâtée afin d'en imprégner l'odeur dans leur subconscient. Alors moi, pas truffe du tout, j'ai adopté la même technique pour mon chien de rapport. Le lundi c'était le collier de ma femme, le mardi ma montre, le mercredi ma chevalière... et ainsi de suite, jour après jour notre toutou recevait sa ration de poudre d'or prélevée sur les bijoux familiaux.

Pendant que je râpais ma poudre d'or, je me voyais avec mon chien dans la forêt: tout à coup, il partait comme une flèche, s'arrêtait, creusait un petit trou et revenait fier et noble avec une énorme pépite entre les mâchoires, pépite qu'il me remettait en battant de la queue, et que je jetais négligemment dans ma gibecière déjà bien pleine. Ah oui, dans quelques temps, la vie sera belle !!

A 8 mois, estimant mon Med'Or enfin prêt, nous avons fait notre première tentative, toute la famille nous accompagnait, les voisins aussi d'ailleurs! Peut être étions nous trop nombreux ?, peut être faisait-il trop chaud ?, peut être avait-il trop mangé ? toujours est-il que notre chien ne nous a rien rapporté du tout. Le lendemain matin de bonne heure, à la fraîche, je suis allé seul avec Med'Or alors là, il m'a rapporté un bâton, malheureusement, il était pourri et je ne pouvais rien en faire. Les jours suivants, pas plus de succès; par contre, il regardait passer tous les oiseaux qui volaient.
Fou de rage, je me suis précipité chez l'éleveur qui m'avait vendu mon chien, il a refusé de m'indemniser pour les bijoux qu'on avait investis dans les pâtées de Med'Or et nous nous sommes quittés très fâchés.

J'avais cru faire une affaire, j'avais cru devenir riche avec mon chien de rapport, et bien voilà, la baudruche s'est dégonflée et je me retrouvais avec un chien inutile à nourrir. Un jour histoire de le promener, j'ai pris Med'Or avec moi à la chasse. Depuis, tous mes copains me supplient de le prendre avec moi car nous n'avons plus jamais perdu un seul oiseau. Car croyez-moi, Mesdames et Messieurs, à la chasse, mon Retriever est un chien qui vaut de l'or !

 

Patrice BARTHELEMY

 

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©Patrice Barthélemy 2010
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